Art géométrique : les cercles, l’orphisme, les fractions
Ce travail des années 1973 et 1974 relève d’une abstraction certaine traversée de lignes géométriques, un dénuement total de couleurs chaudes contrastant avec les influences de l’environnement qui présidait alors à la création de ses oeuvres : le sud de la France.
Apparaissent canons, livres, guerre, histoire, oeil, fenêtres, balais, pièces, murs, ciel, terre, bulle, douches, épines, mâchoire … chaque élément entraîne une sorte de récit comme le souhaite Jacques Dominioni qui donne très rarement, si ce n’est jamais, de titre à ses œuvres, afin de laisser libre celui qui regarde d’y voir ce qu’il veut.
Les œuvres de cette période sont détentrices d’un calme certain et d’une gestuelle peu prononcée.
Plumes et homme dans l’électronique
Des lignes, des labyrinthes, des bustes (héros grecs, par exemple) nous plongent tout autant dans la tragédie grecque que dans les écrits de Cocteau.
L’expression des sujets passe par des lavis où les empreintes des cartes électroniques, des quadrillages et des fils recouvrent des corps devant l’encadrement d’une fenêtre. Les thèmes des tragédies grecques, comme celui, plus actuel, de l’électronique, laissent toujours une place au corps humain, omniprésent dans la peinture de Jacques Dominioni.
Dans la continuité du travail sur la fragmentation de taille de 1974, le thème de l’homme confronté à la nouveauté de l’électronique est récurrent malgré la réticence constante de Jacques Dominioni à donner des thèmes précis à ses oeuvres.
Au milieu d’un environnement quadrillé, un espace géométrique et organique se glisse derrière une mécanique électrique peuplée de tubes et d’ondes.
Cercles et dynamiques
Dans les années 1976 à 1978, on retrouve la vie vençoise avec les couleurs chaudes du Sud. Un dynamisme s’installe : des lignes, des cercles traversent des espaces tout en formant des surfaces colorées.
La rencontre avec le groupe artistique Madi, représentant le courant d’Art-Concret-Invention, dans ces années, lui apporte la notion de trame géométrique qui le renvoie à des notions acquises en ébénisterie, avec ses exigences. Cette trame soutient l’oeuvre, sort du cadre, élargissant ainsi l’espace et ouvrant plus largement celui de l’imaginaire.
Cette période très construite, en lien direct avec l’ébénisterie, rayonne d’une lumière très présente et très puissante. Des collages viennent compléter ce travail pictural, collages qui sont en relation directe avec des découpages de Madi.
Durant cette même période, une nouvelle rencontre a lieu : Arden-Quin, artiste uruguayen, qui est une figure de l’abstraction géométrique et de l’art concret et inspire un certain nombre d’artistes de cette époque ; ce style de peinture détient alors un réel succès, il s’agit d’une sorte d’avant-garde plasticienne qui allie la peinture à d’autres expressions plastiques, notamment le travail sur les métaux. Ainsi, on retrouve des représentations de structures métalliques dans les oeuvres de Jacques Dominioni qui s’architecturent au coeur de la toile et même jusqu’à l’extérieur.
Cette rencontre avec le mouvement inspiré par Arden-Quin est très probablement décisive de la forme de peinture qui suivra.
Période Cosmique
Dans une abstraction totale, des volumes s’encastrent dans l’espace. Sur une trame de ciel d’orage, avec des bleus, gris, noirs, on peut entrevoir une sorte d’architecture métallique qui se construit. Dans ses collages, ses peintures ou ses techniques mixtes, une ombre s’installe…
Un changement de vie serait-il à l’origine de ce cubisme expressionniste ? En effet, les traits hachés choquent et perturbent le regard… à la manière de l’expressionnisme… certaines œuvres sont de véritables supplications.
Ces volumes, ces couleurs font aussi penser à une vision futuriste, à l’espace, d’où le terme de période «irréelle» ou «cosmique». Cette période de peinture ne durera que l’année 1978 mais elle aura débuté, assurément, dès 1974. Pour preuve, ce que l’on retrouve d’essais et de recherches de Jacques Dominioni dans les cartons de cette époque.
Personnages boules
En 1979, Jacques Dominioni ressort de ses cartons des œuvres à tendance figurative et les expose. Des personnages sont symbolisés par des disques pour leur tête et par des «cylindres organiques» pour leurs membres.
Des volumes, comme dans les esquisses des débuts, sortent de ces personnages « boules » au coeur d’un environnement empreint de formes rondes où les prismes explosent. Une véritable dynamique s’installe, telle une danse.
La rencontre de sa nouvelle femme, danseuse, y-serait-elle pour quelque chose ?
C’est alors qu’il s’installera en Vendée. C’est une étape qui va provoquer une utilisation différente de la couleur. En 1983, les formes géométriques deviennent plus douces, les lignes angulaires se mélangent aux formes plus organiques et plus courbes. Face à une lumière moins vive que dans le Sud, sa palette devient plus forte et plus intense. Mais ses sujets, comme ceux du Sud, demeurent, et traduisent encore la recherche de la forme et de la couleur. Ils sont une exploration objective plutôt qu’une expression des émotions.
Orphisme
L’année 1980 est une sorte de pause et traduit également une rupture totale avec les années précédentes : changement de vie, abandon des projets précédents, notamment avec André Verdet, poète et plasticien si proche de Picasso et de Matisse. Si son expression picturale change, il subsiste toujours la trace de la fraction géométrique, mais elle s’exprime différemment : des cercles, des quadrillages, des portions, des couleurs qui impriment un renouveau dans son oeuvre.
On peut rapprocher ce travail de celui de Robert et Sonia Delaunay. Le mouvement d’abstraction-création qu’ils ont inauguré au début du 20e siècle est alors qualifié d’orphisme. Des couleurs primaires sont réparties sur des disques qui se situent au centre de la toile, donnant une impression de contact direct avec la forme du monde. Des ronds, des carrés, des rythmes musicaux qui font dire à Jacques Dominioni que l’artiste a besoin «de contacts avec d’autres domaines artistiques» : musique, peinture, danse aussi…souvenons-nous des croquis de Léonard de Vinci qui inscrivent les mouvements du corps humain dans un cercle.
Ainsi de 1980 à 1990, ce travail autour du cercle, de la sphère, fait entrer une dynamique forte dans la peinture de Jacques Dominioni.
Fraction géométrique
De 1990 à 1995, un travail géométrique puissant prend toute la place : foisonnement de lignes et de surfaces peintes en aplats, et même en noir et blanc tout un temps.
Ce travail fait penser à un environnement urbain qui rappelle le travail de Zoltan Kemeny, sculpteur et plasticien, qui pratiquait, notamment, ce qu’il appelait « les sculptures-peintures ». Ses compositions abstraites métalliques font prendre «conscience de la variété inattendue qu’offre l’environnement urbain aux sens».
Dans le travail de Jacques Dominioni, la description de l’environnement urbain est bien présente et s’exprime lorsqu’il peint des pâtés de maisons, canalisations, toitures, routes, traces, enchevêtrements d’espaces sur une même surface…
La couleur revient!
Cette recherche très géométrique, faute d’avoir pu, tout d’abord, la rattacher à un mouvement particulier, se clôture par une ode au mouvement puriste américain: le Hard Edge (littéralement : bord dur). Ce mouvement dont l’un des précurseurs est le peintre Kelly, est né en réaction à l’expressionnisme abstrait, qui, étrangement, suivra dans le travail de Jacques Dominioni.
Un mélange optique combinant l’économie des formes, netteté des surfaces et plénitude des couleurs, suivant les strictes directives du Hard Edge, dans cette dernière étape de la fraction géométrique, sont bien repérables.
Les sujets des tableaux peints dans le Sud, sont des formes géométriques et analytiques, et l’approche, au moins sur la surface, est sans émotion personnelle. Il s’agit plus d’une exploration objective des formes. Les couleurs sont tonifiées et sobres, comme le reflet de la lumière brillante du Sud où les couleurs de la nature sont fortes et brûlantes.
Cubisme
Ce travail se rapproche des grands principes du cubisme : une représentation qui aborde plusieurs points de vue, à travers une représentation de visages.
Par exemple, un portrait qui montre une face et un profil dans une même unité, une même globalité : le cou est torturé et les lignes géométriques encadrent le visage.
D’un cubisme analytique, première période du cubisme, les cercles et angles droits pénètrent les oeuvres de Jacques Dominioni. Il avait abordé, dès 1957, cette approche dans des dessins académiques en noir et blanc, puis dans des oeuvres colorées qui laissent une grande place à la figuration des années 1970 et 1971.